Mon travail de recherche porte sur le quotidien des humanitaires en mission d’urgence. Basée sur une ethnographie réalisée auprès d’équipes internationales en Ethiopie en 2007 et 2008, l’étude menée met en convergence une analyse des pratiques et une réflexion disciplinaire.
La réalité vécue de cette population aux contours flous, à l’identité mouvante sous le masque du stéréotype, bouscule les limites usuelles entre l’ordinaire et l’exceptionnel, entre l’individu et la communauté. L’une des particularités de ce groupe est de se situer à la croisée des échelles. Sur les terrains sensibles de l’urgence, les humanitaires circulent entre l’ultra-local du site d’intervention et l’hyper-global de l’aide internationale mondialisée. A l’heure d’une re-frontièrisation du monde et de l’affleurement d’une gestion transnationale des questions migratoires, la place et le rôle des humanitaires dans l’organisation contemporaine des sociétés sont clés.
L’enquête a pris pour point de départ la DG (direction générale) ECHO, bailleur européen de l’urgence. L’examen de son fonctionnement, depuis Bruxelles jusqu’à Addis Abeba, fut la passerelle d’un questionnement institutionnel vers le monde professionnel des urgentistes de terrain, membres de grandes ONGI (MDM, MSF, ACF, Save the Children, CARE, etc.). Les questions de représentations (de l'aide et des « aidants ») et d’une politique émotionnelle de l’UE ont de ce fait alimenté la réflexion. Enfin, celle-ci a nécessité un retour méthodologique sur les conditions de production d’une anthropologie des humanitaires, qui tienne compte à la fois du contexte (l’Ethiopie héritière des famines de 1984-85), d’un environnement relativement critique de l’aide, et des spécificités du groupe étudié (prégnance d’un fort entre soi professionnel notamment). Ce dernier nous révèle en fin de compte quelque chose de notre rapport au temps, à l’Autre et au politique.