Dr. Yann Calbérac | Chercheur associé

Pensées critiques au pluriel. Approches conceptuelles de la recherche en sciences sociales
Centre Marc Bloch, Friedrichstraße 191, D-10117 Berlin
Email: yann.calberac  ( at )  wanadoo.fr Tél: +49(0) 30 / 20 93 70700

Institution principale : Université de Reims Champagne-Ardenne | Position : Maître de conférences. Membre junior de l'Institut universitaire de France (2019-2024) | Discipline : Géographie |

Biographie

Yann Calbérac est ancien élève de l’École normale supérieure de Lyon (2001), agrégé (2004) et docteur en géographie de l’Université Lumière Lyon 2 (2010). Il est actuellement Maître de conférences à l’Université de Reims Champagne-Ardenne (depuis 2013) et membre junior de l’Institut universitaire de France (2019-2024). Ses recherches s’inscrivent dans le champ de l’histoire et de l’épistémologie de la géographie, de l’étude des spatialités, et dans l’exploration des liens entre théâtre et géographie.

 

La métaphore spatiale au prisme du spatial turn

La métaphore spatiale est un levier opératoire pour interroger les enjeux épistémologiques, politiques, critiques et réflexif du tournant spatial (c’est-à-dire l’émergence d’un paradigme spatial qui se diffuse depuis les années 1990) aussi bien pour la géographie (c’est-à-dire la discipline qui a pris l’espace pour objet) que pour l’ensemble des sciences humaines et sociales qui se trouvent redéfinies. Ce projet – qui s’appuie sur les approches de la sociologie des sciences – entend rompre avec l’idée communément admise selon laquelle la métaphore marquerait la mort de l’espace : bien au contraire, la métaphore spatiale apparaît, à l’heure du tournant postmoderne, comme la seule forme possible de théorisation de l’espace.

 

Les sociétés contemporaines sont traversées par de multiples dynamiques qui les transforment à toutes les échelles : la croissance démographique, l’urbanisation généralisée, l’augmentation des mobilités et des échanges, l’essor des télécommunications, les mutations des systèmes politiques et l’avènement d’un ordre néo-libéral, ainsi que la prise de conscience d’une crise environnementale irréversible rendent à la fois difficile la compréhension des mécanismes à l’œuvre, et plus que jamais nécessaire la tâche des sciences humaines et sociales (SHS). À rebours de toute tentation catastrophiste, ces dernières cherchent à (pro)poser de nouveaux cadres pour (re)penser la société. A lire les publications les plus récentes issues de différentes disciplines du champ, l’heure n’est plus tant à imaginer l’évolution (et donc le futur) des sociétés qu’à prendre acte de la complexité présente des sociétés et donc, plus modestement, à proposer des repères, c’est-à-dire ce qui sert à retrouver un emplacement. L’enjeu ne semble donc plus de deviner où l’on va, mais plutôt de déterminer où l’on est. Ainsi le philosophe B. Latour dans Où atterrir ? se demande-t-il dès le sous-titre « comment s’orienter en politique » (Latour 2017). Dans Contre-courants politiques, le littéraire Y. Citton cherche à renouveler l’imaginaire politique en proposant de nouvelles directions et de nouvelles polarités pour reconfigurer les discours et leurs positions (Citton 2018). Dans Brouhaha. Les mondes du contemporain, le littéraire L. Ruffel cherche quant à lui à démêler les multiples acceptions du terme en explorant les « lieux du contemporain », c’est-à-dire les « localisations de cette substantivation » (p. 8) du contemporain : l’auteur instruit alors son analyse en opérant un débordement et un décadrage du récit que le contemporain s’est lui-même donné (Ruffel 2016). Enfin, pour comprendre les nouvelles dynamiques des pensées critiques capables de prendre en charge ces transformations majeures, le sociologue R. Keucheyan se donne dans Hémisphère gauche pour mission de tracer une cartographie, préalable indispensable pour s’orienter dans le paysage des pensées critiques (Keucheyan 2017).

Cette inclination des SHS à mobiliser l’espace à la fois comme moyen ou comme finalité de leur démarche ne cesse d’interroger :

  1. Un constat s’impose : le recours massif aux « métaphores positionnelles » (Grataloup 1996, 68), ce qui trahit « l’émergence d’un paradigme spatial dans les sciences sociales » (Jacob 2014, 43) au-delà des disciplines qui ont historiquement pris en charge l’espace (la géographie, l’architecture, l’urbanisme et l’aménagement). C’est ce que l’on désigne sous le terme de tournant spatial (spatial turn) des SHS et qui privilégierait désormais l’espace au détriment du temps (Arias 2010). Ou, pour reprendre l’efficace formule de M. Lussault, il s’agirait de substituer à l’ancienne « lutte des classes » marxienne et encore imprégnée de l’héritage téléologique des Lumières une « lutte des places » qui met désormais l’espace au cœur de ses préoccupations (Lussault 2009).
  2. Il faut donc prendre au sérieux cette généralisation de la référence spatiale à l’heure du tournant, et, à la suite de C. Jacob, s’interroger sur son statut (Jacob 2014, 43‑57). Quand il est question d’espace, s’agit-il encore « de concepts opératoires (…) pour apporter un surplus d’intelligibilité à des phénomènes complexes et multidimensionnels » ou déjà d’un « usage de l’espace comme principe structurant de la réflexion », c’est-à-dire d’une simple métaphore (p. 43) ? Il faut alors « évaluer le caractère opératoire de la métaphore spatiale dans différents champs disciplinaires comme la linguistique, la poétique, la philosophie, la sociologie, l’anthropologie » (p. 44). S’il s’agit d’une métaphore spatiale – entendue comme une métaphore dans laquelle est « inscrit l’espace comme une ressource signifiante, un ensemble de réalités à quoi comparer ce qui est référé » (Lévy-Piarroux 2013, 657) – il faut alors clarifier son fonctionnement mais aussi élucider ses effets.
  3. Enfin, la généralisation de la référence spatiale interroge la position qu’occupe la géographie (ma discipline) dans cette nouvelle configuration du champ des SHS, et les acquis théoriques, conceptuels et méthodologiques qu’elle peut mobiliser pour poursuivre, demain, la conduite de son projet intellectuel : la géographie est donc sommée d’interroger son propre projet à l’aune du tournant spatial (Stock 2008). Bien plus, cela interroge aussi la pertinence d’étudier ces transformations contemporaines du champ des SHS depuis la géographie, en mobilisant ses outils, ses méthodes et ses approches.

Ce travail actualise le constat, plus pertinent que jamais, dressé par Foucault en 1964 : « L’espace est dans le langage d’aujourd’hui la plus obsédante des métaphores » (Foucault 1994, 407). Aussi ce projet consiste-t-il à mettre à l’épreuve les conditions épistémologiques qui ont permis l’avènement du tournant spatial (1) en construisant une approche théorique de la métaphore spatiale dont l’enjeu n’est pas seulement la métaphorisation de l’espace dans les SHS mais aussi d’envisager la métaphore comme modalité de la pensée à l’heure du tournant postmoderne (2). Pour ce faire, ce projet assume pleinement d’être mené méthodologiquement depuis la géographie (3).

Publications

La liste complète des publications est disponible ici : https://cv.hal.science/yann-calberac