Tagung

Punitivité comparée en Europe

08. Juni | 09:30

La recherche internationale comparée sur le rôle et l’intensité de la pénalité dans les sociétés contemporaines occidentales se focalise pour une large part sur la peine privative de liberté et le taux de détention. A cette aune, un « tournant punitif » est constaté dans les démocraties libérales, attesté par de hauts taux de détention. Pour reprendre les catégorisations classiques de la science politique, les pays « conservateurs », comme la France et l’Allemagne, témoignent de taux de détention moindres, et les pays « sociaux-démocrates », généralement scandinaves,  de taux particulièrement bas (Boutellier 2001, Cavadino & Dignan 2006, Lacey 2008). Alors qu’en Allemagne une légère décrue est observée (Drenkhahn 2013, Salle & Bauduin 2014), la France donne à voir dans le même temps une augmentation notable qui amène le taux de détention à évoluer autour de la barre symbolique du un détenu pour mille habitants.

L’ambition du projet dont nous présenterons les premiers résultats au cours de l’Interlabo berlinois est de saisir et comparer la « punitivité » de ces deux Etats voisins : mesurer la punitivité, expliquer les écarts.

Pourquoi ces deux pays en particulier ? D’abord parce que la recherche dite internationale sur la punitivité est dominée par les régimes de common law, qui sont aussi la pointe avancée des politiques néo-libérales ; deux ingrédients qui contribuent, on le sait, à une punitivité élevée (Lappi-Seppälä 2014). Notre ambition est médiane (« médiocre », aurait dit Quételet) : prendre en ligne de compte des démocraties moyennes, entre « exception scandinave » et « Etat pénal américain ». Ensuite, nous inscrivons nos efforts dans une recherche qui prend pour objet l’organisation des institutions sociales et du système politique pour examiner comment ils pèsent sur les politiques pénales (Jobard 2016, Lacey 2013) : l’organisation de la compétition politique, notamment la dichotomie canonique de Lijphart (1999) système majoritaire / scrutin proportionnel ou de liste, le montant des transferts sociaux, l’organisation de l’offre médiatique et en particulier l’existence d’une presse tabloïd. Dans les systèmes politiques centralisés, en particulier dotés d’un système électoral majoritaire, la politique pénale suit un cours sévère, alors que dans les pays fédéraux et en particulier ceux dotés d’un système proportionnel, des politiques pénales plus modérées se font jour. Une recherche portant sur des pays difficilement ordonnables l’un par rapport à l’autre s’avère plus difficile, comme la France et son système centralisé majoritaire dépourvu de presse tabloïd, et l’Allemagne et son système fédéral proportionnel, où règne une presse tabloïd puissante.

Les évolutions examinées dans le cadre d’une telle recherche comparée s’appuient pour une large part sur les analyses engagées par David Garland (Singelnstein & Stolle 2007). Garland (2001) voit le rôle croissant de la pénalité et de la criminalité comme la caractéristique centrale de l’évolution contemporaine des sociétés occidentales. La transformation culturelle que cette évolution révèle est notamment caractérisée par le privilège renouvelé accordé à la prison, aux dépends des mesures de resocialisation ou par le rôle croissant de l’émotion et de la victime (autant comme figure symbolique que comme part au procès pénal), par le rôle de la criminologie appliquée, tournée vers la sanction, Une proposition forte est également celle portée de Jonathan Simon, qui sous le titre Governing through Crime (2007) a concentré le regard sur le champ politique et élargi le travail de Garland sur la transformation des conditions sociales de la pénalité. Selon Simon, le poids croissant de la pénalité est imputable, en sus de l’influence des conceptions politiques néo-libérales et de la destruction des structures de l’Etat-providence, à la croissance de l’importance du pénal dans la conquête et l’exercice du pouvoir. A une demande sociale croissante pour ces thématiques répondent des offres correspondantes en matière de politique sociale, intimement liées pour J. Simon à un sentiment croissant d’insécurité et une demande punitive en hausse.

L’Interlabo a ainsi pour ambition de présenter la recherche franco-allemande comparée menée conjointement par le Centre Marc Bloch, l’Université Libre de Berlin et l’Université de la Ruhr à Bochum (projet CPC, ANR-DFG).  

Il permettra une présentation des premiers résultats du volet consacré à la demande pénale : d’une part un sondage financé par la Mission de recherche droit et justice (2/6.02.02.27) mené sur deux échantillons représentatifs de la population allemande et de la population française en 2017 et en 2018, ainsi qu’auprès de magistrats français et de magistrats allemands, qui porte sur l’expression des valeurs et sur la détermination des peines à partir de cas concrets, de vignettes (cf. récemment Kuhn 2017) et d’autre part sur le volet qualitatif de ce sondage, qui consiste en la passation d’un jeu de cartes à des interlocuteurs, où chaque carte représente un petit cas délictuel ou criminel et où l’interlocuteur est invité à expliquer au meneur de jeu les raisons pour lesquelles il (ou elle) décide de prononcer telle ou telle peine.

Kontakt

Fabien Jobard
fabjob  ( at )  cmb.hu-berlin.de

Programm

9h30 : Café, accueil des participants (3e étage, salle Georg Simmel)

 

10h00 : Fabien Jobard (CNRS, Centre Marc Bloch) : Accueil et présentation de la journée.

10h15 : Kirstin Drenkhahn, Johanna Nickels (Université Libre de Berlin) : Cultures pénales comparées : présentation d'un projet de recherche franco-allemand

 

11h15 : Pause café

 

11h30 : Fabien Jobard : Présentation de l’enquête par sondage France / Allemagne sur les préférences pénales des profanes et des professionnels (enjeux méthodologiques et premiers résultats).

 

12h45 : déjeuner servi sur place

 

14h00 : Bénédicte Laumond (Université Saint-Quentin en Yvelines, CESDIP) : Le jeu de cartes pénales. Enjeux méthodologiques et premiers résultats

15h00 : Océane Pérona (Université Paris-Dauphine) : Violence conjugale en Allemagne et en France (sondages).

 

16h00 : Pause Café

 

16h15 : Fabien Jobard : Le choix de la prison ferme en France et en Allemagne (sondages).

17h15 : Bénédicte Laumond et Fabien Jobard : Mixed-Method pénales : les atteintes aux biens dans les sondages et jeux de cartes

 

19h00 : Dîner (Restaurant Longo Mare, Krausenstr. 11)

Ort

Georg-Simmel-Saal
Friedrichstraße 191

10117
Berlin
Deutschland