Call for papers

CfP : Faire face à la défaite (1870-1945) Soixante-quinze ans d'histoire franco-allemande

05 octobre 

Colloque "FAIRE FACE À LA DÉFAITE (1870-1945) SOIXANTE-QUINZE ANS D’HISTOIRE FRANCO-ALLEMANDE"
organisé les 8-9 mars 2021 au Château de Vincennes, Avenue de Paris à Vincennes.

La séquence 2020-2021 est marquée par un quadruple anniversaire franco-allemand : le cent-cinquantenaire des débuts de la guerre franco-prussienne en amont et le soixante-quinzième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en aval. Entre les deux, 2020 correspond également au centième anniversaire de l’entrée en vigueur du traité de Versailles – qui à l’issue de la Grande Guerre devait remodeler les relations entre les deux voisins mais aussi, idéalement, permettre d’éviter de nouveaux conflits – et au quatre-vingtième anniversaire de la défaite française de mai-juin 1940. La défaite est donc une expérience partagée. Elle bouscule, recompose et continue à travailler en profondeur les sociétés française et allemande, avant, pendant et après les conflits.

Dans ce cycle commémoratif éclaté qui voit chaque conflit étudié séparément, le Service Historique de la Défense (Vincennes), en partenariat avec le Centre Marc Bloch (Berlin), le Centre d’Histoire « Espaces et Cultures » de l’Université d’Auvergne (Clermont-Ferrand), le Centre international de Recherche de l’Historial de la Grande Guerre et de l’Université de Picardie – Jules Verne (Péronne), l’Institut Historique Allemand (Paris) et le Zentrum für Militärgeschichte und Sozialwissenschaften der Bundeswehr (Potsdam) ont souhaité organiser un colloque scientifique qui interroge l’unité de la séquence du point de vue franco-allemand en centrant la focale sur l’expérience partagée de la défaite.

Des travaux récents ont montré que l’histoire des années 1870-1945 ne saurait se résumer à une histoire des conflits, des défaites et des revanches. La guerre et la défaite n’en représentent pas moins, pour les contemporains, un horizon des possibles et, parfois, une expérience vécue. Ils sont amenés à y « faire face » que ce soit pour s’y préparer, s’y adapter quand l’événement survient, pour le dépasser et le conjurer une fois la guerre terminée. Dans cette perspective, deux options dominent qui ne sont pas toujours exclusives l’une de l’autre et qui consistent à préparer soit la revanche, soit le dépassement de la logique d’affrontement. Dans un cadre franco-allemand, ce colloque sera donc l’occasion d’explorer la diversité des attitudes des acteurs tant civils que militaires face à la défaite, aussi bien la sienne ou celle de l’autre, entre 1870 et 1945. Il s’agit de saisir le rapport à la violence de la défaite aussi bien à l’échelle de l’individu et de l’intime qu’à celle des institutions militaires ou non, locales, nationales et impériales, en étant attentif aux interactions entre ces dimensions. En outre, De 1870 à 1945, la répétition des revers subis ou infligés permet également d’aborder la façon dont l’expérience d’un conflit est plus ou moins réinvestie au cours du suivant, consciemment ou non. Les acteurs sociaux inventent-ils alors une nouvelle « culture de la défaite », pour reprendre l’expression de Wolfgang Schivelbusch ou au contraire vivent-ils le surgissement de la défaite dans leur vie comme un moment exceptionnel, ou encore comme une initiation qui donne un sens à ce qui a précédé et/ou à leur existence future ? Ajoutons enfin que la période 1870-1945 voit les puissances européennes s’étendre sur d’autres continents puis les systèmes de domination coloniale entrer en crise. Les défaites militaires sur le sol européen acquièrent ainsi rapidement une dimension mondiale et les populations colonisées font l’expérience concrète des recompositions impériales qu’elles provoquent.

Quatre grandes thématiques ont été retenues :

Envisager la défaite

Au début des conflits, la défaite est rarement imaginée. La victoire au contraire est préparée notamment à travers la réflexion sur les buts de guerre. Pour la France, en 1870-71 et 1940, pour l’Allemagne en 1918 puis 1945, faire face à la défaite, c’est par conséquent d’abord devoir faire face à une issue inattendue de la guerre au sens propre du terme, une fin inenvisageable et inenvisagée. Pendant les conflits, les anticipations de l’avenir sont généralement des moyens de se rassurer en se projetant dans des sorties de guerre victorieuses. Dès lors, la défaite peut-elle être envisagée avant et pendant le conflit ? La défaite se cristallise alors plus ou moins rapidement et remet radicalement en cause les attentes des différents acteurs. Comment combattants et non-combattants font face à cet événement ? Comment l‘anticipent-ils ? Comment en prennent-ils la mesure et y réagissent-ils lors des trois guerres ? La défaite confère donc le plus souvent un tour surprenant et improvisé à un face-à-face avec l’ennemi plus ou moins anticipé. Elle conduit les acteurs tant civils que militaires à s’adapter à des dangers inattendus et à des espaces de combat imprévus. L’ampleur des revers subis et de la faillite des institutions en passe d’être vaincues, peuvent être aussi l’occasion pour des communautés locales de s’affirmer dans la gestion de la Cité mais aussi parfois dans la conduite des opérations, que ce soit à la demande du pouvoir central, de l’ennemi ou de leur propre initiative. En lien avec la délégitimation des autorités civiles et militaires, elle peut aussi générer, au cœur même des hostilités, l’expression du refus de la violence guerrière – parfois stigmatisé sous le terme de défaitisme – voire conduire à une refondation des structures sociales et politiques sous la pression de l’ennemi en vue d’éviter la défaite. La remise en cause des institutions, civiles comme militaires, peut ainsi être considérée comme une opportunité et renverser un ordre établi et déboucher sur des changements de régime et des moments ou cycles révolutionnaires ou contre-révolutionnaires, préparés en amont ou dans la temporalité même du surgissement de la défaite.

Vivre la défaite

Le second axe des travaux sera consacré plus précisément aux moments de la fin des conflits lorsque la défaite est consommée. Comment, entre 1870 et 1945, individus (combattants et non-combattants, hommes, femmes et enfants), groupes sociaux, institutions font-ils face – ou non – à l’expérience de l’effondrement que représente la défaite ? Les cadres et les groupes militaires sont ébranlés voire fracturés sous le coup de la défaite. La légitimité et la compétence du commandement sont ainsi mises en causes alors que même l’urgence du moment conduit les autorités militaires à s’interroger sur les opérations qu’elles sont encore en mesure de mener (retraite, contre-attaque, guerre de siège, etc.). Simultanément, maintenir la discipline et la cohésion d’une troupe vaincue devient une gageure pour laquelle officiers et sous-officiers ne sont ni formés ni préparés. Les émotions de la défaite (dépit, dépression et trauma, débouchant parfois sur des suicides, refus, déni, mais également soulagement, sentiment de libération, voire joie…) dans le cadre d’une histoire des sensibilités, pourront par exemple être explorées dans cette partie. On ne manquera pas non plus de réfléchir sur le lien entre la nature et la longueur des hostilités et l’expérience de la défaite. La radicalisation de la violence au cours de la période et le processus de totalisation qui l’accompagne entre 1870 et 1945 ont-ils des implications sur la manière de vivre les défaites successives. À guerre totale correspond-il une défaite totale ? Enfin on s’attachera également à problématiser la temporalité du moment défaite. À partir de quand commence l’expérience de la défaite et quand se termine-t-elle ? Sociétés et individus vivent-ils la défaite sur le temps court ou sur le temps long ? Comment les acteurs sociaux se pensent-ils « dans la défaite » par rapport aux périodes, finalement plus longues, d’apaisement et de paix. Le temps de la défaite est-il appréhendé comme une parenthèse ?

Ce qui nous amène aux deux dernières problématiques de ce colloque :

Acter la défaite

À qui appartient-il de reconnaître la défaite et de la proclamer ? Ces thématiques impliquent en outre de réfléchir aux discours et aux représentations utilisées pour expliquer et faire accepter la défaite sur le front comme à l’arrière. Se posent des questions comme l’accès à l’information (renseignement, propagande, rumeurs, etc.) et la réaction immédiate des acteurs sociaux à ces nouvelles (révolte, soulagement, etc.). Définir l’ampleur de la défaite est alors affaire de négociations. Il s’agit avant tout de discuter, avec l’ennemi comme au sein de son propre camp, des termes de la défaite (retrait, trêve, cessez-le-feu, capitulation, armistice, etc.). Une attention particulière devra donc être accordée aux acteurs qui organisent la gestion économique, diplomatique et militaire de la défaite ainsi qu’aux implications de ces négociations (occupation, retour des prisonniers, désarmement des combattants, ravitaillement, ordre public, paiement de tributs et d’indemnités, tracés de nouvelles frontières…). Alors même que ces actions s’enclenchent apparaissent des phénomènes individuels ou collectifs de refus de la défaite. Le fait que certains décident de continuer le combat envers et contre tout interrogent la légitimité et les moyens de coercition des institutions qui actent la défaite. Ces refus invitent aussi à questionner les imaginaires guerriers, les discours politiques et les pratiques combattantes de ceux qui refusent de se démobiliser.

Apprendre de la défaite

Coopérer avec l’ennemi ne va pas de soi dans la mesure où une telle attitude politique, si elle est assimilée à une trahison, est politiquement et moralement disqualifiée. Cependant, la défaite scellée, la paix redevient un horizon pour les acteurs sociaux. Alors que les nationalismes conservent la rhétorique belliqueuse du temps de guerre, certains acteurs travaillent à ce que les sociétés dépassent les statuts de vainqueurs et de vaincus. Une attention particulière sera donc portée aux individus ou aux groupes qui œuvrent à des médiations entre les adversaires d’hier. Si celles-ci peuvent être guidées par une volonté de réconciliation avec l’Autre, elles peuvent aussi résulter de logiques politiques et idéologiques internes (le pays vaincu cherchant l’appui du vainqueur pour surmonter les tensions sociales voire la guerre civile qui éclatent au lendemain de la défaite). Enfin nous nous intéresserons plus particulièrement aux lectures, relectures et apprentissages qui découlent de ces expériences. La défaite devient-elle pour les contemporains une clef de lecture du passé ? La considèrent-ils comme un châtiment collectif plus ou moins mérité ou un instrument de la providence, comme un fatum ou plutôt un accident de parcours ou bien encore comme l’œuvre maléfique d’une minorité ? Dans cette perspective, on s’intéressera notamment aux écrits de la défaite, aux analyses et témoignages qui, tantôt à chaud comme L’étrange défaite de Marc Bloch « ce procès-verbal de l’an 1940 » écrit entre juillet et septembre de la même année, tantôt à distance, tentent de d’injecter du sens dans l’événement par-delà la sidération qu’il provoque. Quelles leçons les contemporains d’une défaite en retiennent-ils et quelles réformes conçoivent-ils pour éviter de revivre cette expérience ? À l’intérieur des sociétés, on portera notamment le regard sur l’impact sur les organisations militaires victorieuses comme vaincues (recrutement, conscription, alliances militaires, expansion coloniale et impériale, doctrines, formation, discipline et traditions). Si le sentiment de revanche qui suit la défaite est important, il convient de le mettre en balance avec les espoirs et expériences d’apaisement et de coopération. La dernière section sera plus particulièrement consacrée à une autre mise en récit de la séquence chronologique. Comment l’expérience et la représentation de la défaite, la sienne et celle de l’autre, influent-elles sur les expériences de coopération entre les conflits et les tentatives d’instaurer une paix durable mises en œuvre au cours de la période, quand bien même ces dernières ne se révèlent pas assez fructueuses ? Dans cette perspective, faire face à l’ennemi – vainqueur ou vaincu – c’est également, pour les Allemands et les Français, entre 1870 et 1945, non pas uniquement affronter et humilier mais également négocier, se réconcilier et démobiliser les représentations hostiles de l’autre. Une telle démarche fait suite aussi bien à des décisions émanant des pouvoirs publics que d’initiatives individuelles et collectives. Cela implique même parfois de coopérer avec l’ennemi d’hier dans des instances internationales qui apparaissent à la faveur des traités (à l’instar de la Croix-Rouge internationale ou de la Société des Nations), de trouver des accommodements et de combattre à ses côtés dans des coalitions pour gérer des crises au nom d’intérêts plus ou moins partagés.

Nature des contributions souhaitées

Les candidates et candidats veilleront à inscrire leur proposition dans la réflexion générale, la période choisie et les grands axes problématiques exposés ci-avant. S’ils le souhaitent, ils pourront indiquer dans laquelle des grandes sections ils insèrent leur contribution, sachant que le comité d’organisation, en dernier recours, les informera, s’ils sont retenus, de la place qu’ils occuperont lors du colloque. Le comité d’organisation et le conseil scientifique du colloque tiennent à souligner que le champ d’étude franco-allemand a, depuis une quarantaine d’années, été un front pionnier des approches non-nationales en proposant des comparaisons, l’étude de transferts culturels, une histoire croisée, connectée. Par conséquent, sans exclure les propositions consacrées à un seul des deux pays, ils favoriseront les communications qui étudient un objet dans les deux pays. Des comparaisons avec d’autres pays ou défaites emblématiques sont également bienvenues. Les propositions qui couvrent l’ensemble de la période comme celles s’attachant à comparer de manière diachronique plusieurs expériences de défaite mais aussi celles consacrées à une seule des défaites sont attendues. Les propositions prendront la forme d’un résumé d’une page et d’un curriculum vitae d’une seule page également. Elles doivent parvenir au comité d’organisation par mail à l’adresse suivante : fairefacedefaite.facingdefeat@gmail.com au plus tard le vendredi 6 novembre 2020. Les candidats et candidates retenus disposeront lors du colloque d’un temps de parole de 20 minutes. Les communications pourront être faites en français ou en anglais.

En fonction de l’évolution de la situation liée au COVID-19, le comité d’organisation se réserve la possibilité d’annuler le colloque ou de permettre à certains intervenants de présenter leur communication par d’autres moyens en cas d’impossibilité pour eux de se déplacer. En cas d’annulation du colloque, le comité d’organisation mettra tout en oeuvre, pour, éventuellement, le remplacer par une publication. Les intervenants sélectionnés seront tenus informés des solutions envisagées et devront également informer impérativement le comité d’organisation avant d’engager des frais liés au colloque.

À l’issue du colloque une publication est prévue. Les communicants retenus pour la publication seront informés rapidement et devront rendre leur article finalisé pour le 31 août 2021.

Comité d’organisation

  • Dr. Nicolas Beaupré (Université de Clermont-Auvergne, Centre d’Histoire Espaces et Culture, Centre International de Recherche de l’Historial de la Grande Guerre)
  • Dr. Géraud Létang (Service Historique de la Défense)
  • Lieutenant Aurélien Renaudière (Service Historique de la Défense)

Conseil scientifique

Pr. Julie d’ANDURAIN (Université de Lorraine – Nancy)
Pr. Jean-Claude CARON (Université de Clermont-Auvergne – Clermont-Ferrand)
Dr. Pierre CHANCEREL (Service Historique de la Défense- Vincennes)
Dr. Julia EICHENBERG (Humboldt Universität zu Berlin)
Pr. Dr. Jörg ECHTERNKAMP (ZMS-Postdam)
Pr. Dr. Michael EPKENHANS (ZMS-Postdam)
Pr. Dr. Oliver JANZ (Freie Universität – Berlin)
Dr. Elise JULIEN (Sciences-Po Lille)
Pr. Dr. Christine KRÜGER (Universität Greifswald)
Pr. Dr. Gerd KRUMEICH (Centre international De recherche de l’Historial de la Grande Guerre – Péronne)
Dr. Julie LE GAC (Université de Paris Nanterre)
Pr. Heather JONES (University College – Londres)
Dr. Mareike KONIG (Institut Historique Allemand)
Commandant Dr. Laurent LOPEZ (Service Historique de la Défense- Vincennes)
Dr. Jean MARTINANT DE PRENEUF (Service Historique de la Défense- Vincennes)
Dr. Silke MENDE (Centre Marc Bloch – Berlin)
Pr. Philippe NIVET (Université de Picardie/Jules Verne – Amiens)
Dr. Fabien THEOFILAKIS (Paris Panthéon-Sorbonne)
Pr. Dr. Jakob VOGEL (Centre Marc Bloch – Berlin)

Institutions partenaires

  • Centre d’Histoire « Espaces et Cultures » de l’Université de Clermont-Auvergne - Clermont-Ferrand)
  • Centre International de Recherche de l’Historial de la Grande Guerre (Péronne) - Université de Picardie Jules Verne (Amiens)
  • Centre Marc Boch / Zentrum Marc Bloch (Berlin)
  • Historial de la Grande Guerre (Péronne et Thiepval)
  • Institut Historique Allemand (Paris)
  • Service Historique de la Défense (Vincennes)
  • Zentrum für Militärgeschichte und Sozialwissenschaften der Bundeswehr (Potsdam)

Illustration : Tableau d’Alphonse-Marie-Adolphe de Neuville, 1873. Titre : Les dernières cartouches. Illustration de la défense de l’Auberge Bourgerie à Bazeilles par le Division bleue, le 1er septembre 1870. Musée d’Orsay


Contact:

Jakob Vogel
jakob.vogel  ( at )  cmb.hu-berlin.de