Vivons-nous en Europe occidentale dans des sociétés sédentaires ou dans des sociétés archipélisées et se transnationalisant ?
Nos sociétés européennes connaissent de nouveaux développements modernes : fragmentation géographique et sociale des lieux de vie fréquentés, pratiques techno-nomades populaires, espace européen supranational intégré, transnationalisation des flux de biens, de services et d’informations, de pratiques culturelles. Pour autant l’inscription dans le territoire reste fort, autant comme structure sociale, politique et culturelle que comme représentation du monde. Ce livre explore ce rapport entre marquages territoriaux et mobilités transnationales, ce faisant, il invite à le dépasser par l’usage de concepts novateurs comme celui d’archipel transnational (penser une continuité sociale, territorialement discontinue dépassant les frontières nationales) mais aussi à partir de cas concrets puisés dans une enquête combinant approches quantitatives et qualitatives (près de 1000 questionnaires, plus de 50 entretiens semi-directifs, extraits sur 14 ans de registres de population, observations participantes).
Le terrain d’enquête principal est celui de Berlin. L’auteur démontre dans un premier temps que cette ville est traversée par des présences françaises (population, statistiques, organisations, traces historiques, flux d’objets et d’informations) et que ces présences, qui se donnent en partie à voir, sont construites différemment à la fois par les observateurs et par certains acteurs à différents degrés (ville de Berlin, ambassade de France, promoteur immobilier). La situation démographique et socio-économique des Français à Berlin y est précisément décrite. Cette mise en présence française renvoie à des qualités et des intentions sous-jacentes particulières : rapport biographique, influences politiques, bon goût, argument de vente, origine géographique, manière de faire, etc. En somme, ce cas français permet e.a. de mieux comprendre comment une ville comme Berlin se transnationalise.
Dans un second développement, l’auteur montre les différents rapports que les personnes vivant en dehors du pays de leur nationalité (exception des binationaux) entretiennent avec différents niveaux d’échelle de lieux d’appartenance. Il en ressort des profils types montrant les liens entre quatre groupes d’indicateurs – connaissances culturelles, socialisations, positions professionnelles, représentations – et des combinaisons de sentiment d’appartenance socio-territoriaux (e.g. Européen puis Français, Français exclusivement). Ces sentiments ne sont pas figés et la situation dans laquelle ils sont exprimés contribue au choix de ceux-ci (être en France, en Allemagne, avoir un employeur français, voté avec son conjoint ayant la nationalité du pays de résidence, etc.). Certaines situations peuvent même jouer comme des révélateurs de soi-même. En outre, en situation transnationale les socialisations et les lieux identitaires pour les personnes peuvent être plus éclatées géographiquement et culturellement qu’en situation intranationale. Ceci implique pour ceux qui veulent entretenir leur socialisation un travail supplémentaire – gymnastique culturelle – d’actualisation informationnelle et relationnelle au-delà des frontières géographiques, groupales et culturelles. Les différents rapports personnels des migrants aux lieux de vie fréquentés en lien avec leurs sentiments identitaires (biographique, généalogique, quotidien, investissement culturel) closent la partie.