Le processus de la construction européenne a depuis ses débuts constitué un défi pour les cadres conceptuels et les savoirs classiques de l’analyse du politique. De nombreux concepts ont été construits en vue de caractériser le modèle politique, juridique ou économique de l’Europe – avec des succès divers. En effet, ce travail de définition de la forme de l’Europe apparaît comme un processus conflictuel qui conduit, en même temps que les concepts, à faire accepter certains modèles et les savoirs qui les portent. Il importe alors de travailler à une sociologie historique des concepts de l’Europe qui vise à comprendre ce processus de définition, au croisement de traditions, d’idées et d’intérêts extrêmement divers.
A travers la comparaison des usages en France et en Allemagne des concepts de « supranationalité » et d’ « économie sociale de marché », largement utilisés dans les définitions de l’Europe jusqu’à aujourd’hui, nous cherchons à restituer la complexité de leur production et de leur circulation, appréhendées ici comme des processus croisant logiques savantes (droit savant, science politique et science économique) et politiques, d’une part, et logiques nationales et transnationales, d’autre part. Ces concepts sont utilisés comme des fils rouges dans les débats européens : partant des textes scientifiques et débats politiques qui en font usage, l’enquête s’efforce de les replacer dans leur contexte de production et de réception par les acteurs de ces débats. L’enjeu est donc de retracer l’histoire intellectuelle et sociale de ces concepts en même temps que celle de la reconnaissance de certains savoirs comme légitimes pour penser l’Europe.