Cette thèse propose de porter un regard pragmatique sur la "mise en algorithme" de la recommandation et de la décision au sein des organisations. Elle se situe à l’intersection des travaux qui s’intéressent à l’utilisation des technologies d’automatisation et d’évaluation dans les organisations et de ceux qui questionnent la volonté et l'opacité des algorithmes. Partant du principe que la première étape de la mise en algorithme est la "mise en données" (parfois massives) des activités de consommation et de décision, nous mobilisons le concept de "gouvernementalité algorithmique" afin d’étudier comment les acteurs de la conception et les utilisateurs des algorithmes y ont recours pour arriver à leurs fins. Pour cela, nous avons mené quatre enquêtes auprès d'une centaine d’acteurs (initiateurs, ingénieurs, designers et utilisateurs) d’algorithmes de recommandation et d'algorithmes organisationnels. Nous montrons notamment que les initiateurs mobilisent les algorithmes – conçus par les ingénieurs et les designers – non pas pour automatiser des actions, mais pour se désengager de toute prescription culturelle et décisionnelle. Mécaniquement, ce sont aux utilisateurs de faire des choix et de s’engager. Dans le cas de la recommandation, l’évaluation des algorithmes est orientée vers la consommation, tandis que pour l’aide à la décision, ce sont l'utilité et l'intelligibilité des résultats qui revêtent de l'importance. Cette conclusion suggère l'émergence du régime de la satisfaction, offrant ainsi un cadre optimal aux initiateurs pour harmoniser les objectifs liés à l'organisation et à l'utilisation.

Tandis que la question de la transparence des algorithmes s’attache souvent à la difficulté d’accès au code source et de l’ouverture des « boîtes noires », il semblerait que l’étude des intentions des designers, de la fabrique des algorithmes, de leur utili- sation managériale et de leur impact corresponde à une littérature encore limitée. En d’autres termes, une étude empirique de la manière dont les organisations fabriquent les algorithmes et, à l’inverse, dont les algorithmes s’intègrent dans les organisations et contribuent à en façonner le fonctionnement quotidien. Ainsi, il nous paraît né- cessaire d’aller à la rencontre de ceux qui fabriquent ces algorithmes d’une part et de ceux qui travaillent avec ou sous les ordres d’algorithmes d’autre part. Dans ce cadre, nous proposons de choisir comme terrain plusieurs organisations développant des algorithmes de recommandation (de biens et de services) et/ou s’appuyant sur un management algorithmique. Nous veillerons à rencontrer tous les acteurs liés aux agissements de ces algorithmes dans les organismes, soit les dirigeants, les managers, les concepteurs et les employés. Cette étude permettra de questionner les intentions derrière les algorithmes, les nouvelles pratiques managériales et organisationnelles du travail ainsi que, plus largement, la transparence et l’éthique des algorithmes.