Roberto Frega | Chercheur associé

État, normes et conflits politiques
Centre Marc Bloch, Friedrichstraße 191, D-10117 Berlin
Email: frega  ( at )  cmb.hu-berlin.de Tél: +49(0) 30 / 20 93 70700

Institution principale : CNRS (Institut Marcel Mauss) | Position : Chargé de Recherche | Discipline : Philosophie |

Biographie

Roberto Frega est philosophe. Après une thèse portant sur l’histoire du pragmatisme (2004 Université Paris 8), il a obtenu une Habilitation à diriger des recherches portant sur les théories contemporaines de la normativité pratique (2011, Paris 1 Panthéon-Sorbonne). Depuis 2013 il est est chargé de recherche au CNRS.

Ses activités de recherche se développent autour de deux axes majeurs. Elles portent d’un coté sur la tradition pragmatiste en philosophie, à la fois d’un point de vue historique et contemporain. Elles visent notamment à explorer les apports du pragmatisme à la compréhension du politique, dans une perspective fortement interdisciplinaire. Elles portent de l’autre coté sur les transformations contemporaines de la démocratie, ainsi que sur les théories de l’espace publique.

Roberto Frega a publié deux livres sur la théorie de la rationalité pratique et du jugement de John Dewey (Pensée, expérience, pratique. Essai sur la théorie du jugement de John Dewey, L’Harmattan, Paris, 2006; John Dewey et la philosophie comme épistémologie de la pratique, L’Harmattan, Paris, 2006), un livre sur les théories contemporaines de la rationalité dans la philosophie politique anglo-américaine (Voci della ragione, Quodlibet, Macerata, 2009) une livre sur l’épistémologie politique (Les sources sociales de la normativité, Vrin, 2013), un livre sur la notion de désaccord moral (Practice, Judgment, and the Challenged of Moral and Political Disagreement. A pragmatist Account, Lexington, Lanhan, Md., 2012). Il a également publié plusieurs articles et dirigé plusieurs ouvrages collectives. Il est co-fondateur et co-editeur du European Journal of Pragmatism and American Philosophy.

Sujet de recherche

Le moment post-démocratie : Repenser la démocratie entre romantisme et réalisme

Présentation

Le projet de recherche que je poursuivrai pendant mon séjour au CMB porte sur les transformations en cours dans les régimes démocratiques. En raison de la nature même de son objet et de son corpus de textes, sa méthodologie se caractérise par une ouverture interdisciplinaire, et notamment par une stricte collaboration entre réflexion théorique et analyse sociale et politique. 

Le projet est construit autour de l’opposition entre ce que certains appellent les conceptions «romantiques» et les conceptions «réalistes» de la démocratie. Il cherche notamment à dégager les grandes lignes théoriques autour desquelles le projet réaliste s’est articulé tout au long du 20ème siècle. Si la tradition «romantique» célèbre le potentiel d’émancipation de la démocratie, s’attache à en définir les conditions d’exercice et propose un programme d’expansion illimité de son champ d’application, la tradition «réaliste» vise plutôt à en mettre en lumière les faux présupposés, les intentions démesurées, l’incompatibilité avec différents dimensions de la réalité: la psychologie humaine, le fait des rapports de force, le s limites de son champ d’application.

Programme de recherche

Le programme de recherche se compose de deux parties. Dans la première partie du programme, il s’agira d’étudier certains présupposés théoriques qui sont à la base du dualisme entre conceptions romantiques et réalistes. Je voudrais notamment m’interroger sur les présupposés anthropologiques que cette opposition cache sans jamais les interroger. Pour le faire, je me concentrerai sur une des controverses le plus importantes de la première moitié du vingtième siècle, à savoir celle qui a vu s’opposer les deux tenants le plus représentatifs de ces deux courants, à savoir John Dewey (1859-1952) et Walter Lippmann (1889-1974) au courant des années Vingt et Trente aux Etats Unis. Ce point de départ se justifie en raison de la nature fort représentative des deux auteurs, qui ont de fait joué le rôle d’auteurs-phare pour les deux traditions intellectuelles dont je me propose de reconstruire l’histoire. D’un coté John Dewey, qui tout au long du Vingtième siècle a joué le rôle de philosophe de la démocratie par excellence3, incarnant la conscience critique de la société états- unienne à un moment décisif de son histoire. De l’autre coté Walter Lippmann, éminence grise du gouvernement américain jusqu’aux années Soixante-dix mais également connu en Europe en raison de ses rapports avec la tradition du néo-liberalisme4. La pensée politique de ces deux auteur fera l’objet d’une reconstruction historique détaillée, ayant en vue la construction de deux modèles idéal- typiques de la démocratie qui nous serviront par la suite comme termes de référence pour suivre les détours et les évolutions du débat. Les conceptions de la démocratie de ces deux auteurs seront remises dans le contexte des débats politiques de l’époque, ainsi que dans celui de la réception critique de leur contemporains aux USA et en Europe.

Dans une deuxième partie, le programme devra reconstruire les différentes étapes de l’évolution de la tradition réaliste d’un coté et d’autre de l’Atlantique. Le but de cette reconstruction est de mettre ​en lumière différentes types de tensions internes au concept de démocratie, à partir de l’étude de différentes traditions de critique à l’idée démocratique. Il s’agira de montrer alors sous quelles formes, dans quelles traditions, chez quels auteurs, dans quelles disciplines ces différentes tensions se sont manifestées. Je partirai notamment de l’hypothèse que dès le début du siècle les critiques réalistes aux conceptions romantiques de la démocratie se sont concentrée autour de trois thématiques principales. Je le nommerai (1) la critique économique, (2), la critique épistémique et (3) la critique globale. Alors que les différentes positions théoriques composant ces traditions sont connues, une véritable approche comparative à l’histoire des théories de la démocratie ne semble jamais avoir été adoptée. Cette partie du projet se compose de trois axes, chacun abordant l’une des trois perspectives critiques que je viens de mentionner. 

Axes de recherche

Axe 1 : Les causes économiques de la dérive « post-démocratique » plusieurs traditions philosophiques ont mis l’accent sur les causes économiques de la post-démocratie. En France notamment, la tradition marxiste classique et ses évolutions contemporaines - notamment dans la théorie critique - ainsi que la tradition foucauldienne de critique au néolibéralisme ont propulsé une interprétation économique de la crise de la démocratie. Ces traditions ont identifié plusieurs mécanismes explicatifs: conséquences politiques des inégalités économiques (Marx), dérives autoritaires propres à la forme de vie capitaliste (Adorno), marchandisation du travail (Polanyi), création de nouvelles formes de subjectivité (Foucault), etc. Dans cet axe nous allons examiner de près la thèse d’un lien intrinsèque entre l’évolution néolibérale du capitalisme et la dégradation des ordres démocratiques à partir d’une mise en perspective des différents paradigmes théoriques qui inscrivent la dérive post-démocratique dans le cadre d’une critique du capitalisme.

Axe 2 : Réalisme épistémique et « post-démocratie » : dans cet axe nous allons explorer l’hypothèse d’après laquelle les régimes démocratiques sont mis en défaut en raison de leurs ambitions démesurées. D’un coté, l’idée que les citoyens n’ont pas les compétences nécessaires pour participer activement à la vie politique, si bien que leurs actions politiques (participation, vote) conduisent souvent à des résultats qui vont à l’encontre de leurs intérêts (paradoxes de l’agrégation). De l’autre coté, le phénomène grandissant de la réduction de la participation électorale, qui conduit à un déficit de légitimité des institutions politiques. Ces deux phénomènes sont en train d’augmenter, ce qui justifierait la thèse d’une véritable accélération post-démocratique en cours.

Axe 3 : Mondialisation, nationalismes, « post-démocratie » : nous partons du constat que la fin du 20ème siècle et le début du 21ème se caractérisent par des processus partiellement indépendant mais convergeant qui affaiblissent la souveraineté nationale et qui mettent ainsi en question le paradigme démocratique : montée des instances de gouvernement non partisanes (courts, agences indépendantes, experts), extension progressive de la mondialisation sous la forme de la globalisation financière des marchés, instauration d’un droit supranational, etc. Ces processus, dont il s’agira de retracer les implications politiques, semblent ouvrer tous dans la direction d’une diminution systématique des espaces soumis au contrôle démocratique, renforçant de cette manière la dérive post- démocratique. 

Projets

De la démocratie économique à la «Workplace democracy»

Le projet scientifique tourne autour de l’idée de démocratie économique. Il pose la question apparemment simple: devons nous démocratiser le lieu de travail? Si oui, pour quelles raisons? La question de la démocratie en entreprise s’inscrit dans le cadre d’une réflexion plus large concernant le rapport entre économie et politique et, plus précisément, entre capitalisme et démocratie, qui s’interroge sur les conditions de compatibilité entre les deux. Il s’agit d’une thématique à la fois ancienne et nouvelle. Ancienne, car déjà présente au sein de la tradition socialiste de la première moitié du 19ème siècle. Nouvelle, car elle avait presque disparue de l’agenda politique et théorique depuis les années 80, et il n’est que tout récemment qu’elle connaît un regain d’intérêt, en raison aussi des transformations profondes qui caractérisent le monde du travail d’aujourd’hui. Mon projet est organisé autour de six thématiques principales, chacune destinée à éclairer un aspect essentiel de la workplace democracy. Les thématiques retenues sont les suivantes: 1. diversité des significations de la workplace democracy. 2. relation entre régimes de propriété et démocratie. 3. Expériences et expérimentations participatives : questions théoriques et méthodologiques. 4. les cadres juridiques pour démocratiser le lieux de travail : analyse comparative. 5. A quoi bon démocratiser le lieu de travail ? Comparaison et mise en tension entre points de vue des chercheurs et des acteurs. 6. Passé et futur : regard sur les expériences passées et sur les utopies. 

Publications

Les sources sociales de la normativité, Vrin, Paris, 2013, 220 p. 

 Practice, Judgment, and the Challenge of Moral and Political Disagreement. A Pragmatist Account, Lexington, Lanham, 2012, 230 p. 

 Le voci della ragione. Teorie della razionalità nella filosofia americana contemporanea, Quodlibet, Macerata, 2009, 254 p.

 Pensée, expérience, pratique. Étude sur la théorie du jugement de John Dewey, Paris, L’Harmattan, 2006, 305 p.

John Dewey et la philosophie comme épistémologie de la pratique, Paris, L’Harmattan, 2006, 306 p.

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