Call for papers

Pouvoirs du rire, rire du pouvoir / Die Macht des Lachens, Lachen über die Mächtigen

28 novembre 

Appel à communication pour un colloque interdisciplinaire franco-allemand/

Centre/Zentrum Marc Bloch Berlin 15-16 mai 2025 Langues/Sprachen : français et/und deutsch
EXTENDED DEADLINE: 15 DEZEMBER

L’humour est généralement tenu à l’écart de l’analyse des discours et des pratiques politiques. Pourtant, la satire ou la caricature constituent parmi les plus anciennes formes d’accompagnement et de critique des manifestations du pouvoir. A l’inverse, le registre de la blague peut aussi devenir le vecteur d’une connivence imposée. Puissant outil de socialisation, créateur de reconnaissance communautaire ou instrument d’exclusion, le rire apporte au politique une dimension performative qui trouve tout naturellement sa place dans les contextes de mobilisation ou de critique militante. Le choisir pour objet d’étude permet de manifester les signaux ou les implicites qui restent à l’écart de la parole officielle.

Pratiqué dans la sphère politique ou la critique journalistique mais aussi dans les échanges sociaux ou dans l’espace privé, l’humour permet l'appropriation et la circulation des messages. Les formats ritualisés de la blague, du dessin de presse ou du mème sur les réseaux sociaux assurent leur réplication et leur diffusion. Il a été souvent analysé comme une forme de résistance (Müller 2009, Baridon, Guédron, 2015, Aglan 2023), mais aussi comme propagande par distraction (Delporte 1993), notamment dans le cas de l’URSS (Regamey, 2007; Yurchak, 2005) ou de l'Italie fasciste (Mattard-Bonucci, 1998). Plus récemment, son rôle à été décrit dans l’exercice de la violence dans l’Allemagne en Guerre (Kessel, 2019) ou pour comprendre l’ordre social et les conflits en dictature et en démocratie (Kessel, Merziger, 2012).

Le colloque franco-allemand que nous proposons interroge les rapports de l’humour avec le pouvoir sous toutes ses formes. Il s’agit d'étudier aussi bien son volet institutionnel que le rire ordinaire, et les manières dont il est utilisé au quotidien pour incarner des rapports de force. Qu’il s’agisse de blagues entre initiés, de plaisanteries de classe ou de punchlines sur un plateau télé, le rire politique prend des formes variées et peut s’analyser à travers différentes méthodes: l’observation, les

entretiens, la conversation sur les réseaux sociaux, etc. Ce colloque se donne également pour objectif d'approcher une forme de l'humour qu’on appelle depuis quelques années «cringe»: un rire qui provoque la gêne ou le malaise, un rire qui ne se partage pas avec tout le monde. Qu'il soit potentiellement excluant, ou parce qu’il critique le pouvoir, il s’agit de comprendre les effets d'une expression performative, et la manière dont elle produit des frontières ou des normes, dans la circulation qu’elle établit entre les sphères du pouvoir et les usages ordinaires. Comment les institutions culturelles ou politiques tentent-elles de restreindre, d’encadrer, voire d’empêcher le rire ? Comment ces restrictions engendrent-elles des résistances, mais aussi de nouvelles manières de faire ? A l’inverse, comment les institutions peuvent-elles s'approprier certaines formes d'humour ? Qui donne la légitimité de rire et de quels objets ? Existe-t-il des débats sur dont il est admis de plaisanter, qui y participe ou en est exclu ? A un moment où les pratiques politiques institutionnelles font l’objet d’un désaveu et d’un désintérêt croissant, la préférence pour des formes alternatives traduit-elle le déplacement vers d'autres formes d’expressivité?

Une première série de questions portera sur les pratiques du rire comme résistance, comme espace à soi ou Eigensinn (Alf Lüdtke, 2015), dans des régimes libéraux et illibéraux. On souhaite également interroger le cadre politique de ces pratiques humoristiques, les différences d’usage en fonction des régimes, mais aussi quels dispositifs, institutionnels ou informels, juridiques ou idéologiques sont susceptibles d’encadrer l’humour ou de lui faire obstacle. Le rire peut aussi être interrogé comme un outil de naturalisation d’idéologèmes et comme exercice de la domination ou de la violence, notamment genrée. Ou au contraire comme outil à la disposition des dominés pour questionner les rapports de force par la moquerie ou l’inversion, tel qu’au carneval, par exemple. La question des modalités d’expression ritualisées et des formats discursifs ou visuels de l’humour permettra de manifester l’efficace communicationnelle et la capacité de réplication des messages.

Information pratiques
Ce colloque se déroule sur deux journées, le 15 et 16 mai 2025, au Centre Marc Bloch à Berlin et est organisé par Alexandra Oeser, André Gunthert et Eric Wittersheim.

Ce colloque s’adresse en priorité aux chercheur-es travaillant sur la France et l’Allemagne, mais des contributions sur d’autres pays, notamment extraeuropéens et/ou non occidentaux sont bienvenues.

Les propositions de communication (3000 signes espaces compris) appuyées sur des enquêtes (archives, entretiens, observations, analyse des réseaux sociaux) et décrivant les corpus analysés ainsi qu’une bibliographie seront à envoyer, en français en allemand ou en anglais jusqu’au 15 décembre à l’adresse: rire@cmb.hu-berlin.de Calendrier : sélection des propositions mi-janvier 2025, papiers complets à envoyer le 15 avril 2025.

Des doctorant-es sont particulièrement incité-es à postuler.

Bibliographie indicative/einleitende Bibliographie:

  • Aglan, Ayla, Le rire ou la vie. Anthologie de l’humour résistant. 1940-1945, folio, Editions Gallimard, 2023.

  • Baridon, Laurent, Martial Guédron, L’Art et l’Histoire de la caricature, Paris, Citadelles & Mazenod, 2015.

  • Butler, Judith, Le Pouvoir des mots. Discours de haine et politique du performatif (traduit de l’anglais par Charlotte Nordmann), Paris, éd. Amsterdam, 2017.

  • Delporte, Christian, Les crayons de la Propagande, Paris, éditions du CNRS, 1993.

  • Matard-Bonucci, Marie-Anne, «Rire sans éclats. Esquisse d'une histoire politique et sociale du rire en régime fasciste», Revue d'histoire moderne et contemporaine, 45/1, 1998.

  • Kessel, Martina, Gewalt und Gelächter, ‘Deutschsein’ 1914-1945, Franz Steiner Verlag, 2019.

  • Kessel, Martina, Merziger, Patrick, Politics of Humour. Laughter, Inclusion & Exclusion in the 20th century, University of Toronto Press, 2012

  • Merziger, Patrick, Nationalsozialistische Satire und deutscher Humor. Politische Bedeutung und Öffentlichkeit populärer Unterhaltung, 1931-1945, Stuttgart, Steiner Verlag, 2010.

  • Müller, Reinhard (Hg.), Auf Lachen steht der Tod! Österreichische Flüsterwitze im dritten Reich, Studienverlag Gmbh, 2009.

  • Alf Lüdtke, Eigensinn. Fabrikalltag, Arbeitererfahrungen und Politik vom Kaiserreich bis in den Faschismus, 2015.

  • Regamey, Amandine, Prolétaires de tous les pays, Excusez-moi! Paris, Buchet- Chastel, 2007.

  • Rires. N° Thématiques de Terrains, Anthropologie et sciences humaines, n°63, 2013.

  • Yurchak, Alexei, Everything was forever, until it was no more, Princeton University Press, 2005.


Contact:

Alexandra Oeser
alexandra.oeser  ( at )  cmb.hu-berlin.de