Résumé : Dès la parution de Voyage au bout de la nuit en 1932, Céline promeut la littérature comme pratique de véridiction susceptible d’influer sur l’expérience sociale de ses lecteurs. En réclamant la liberté de « tout dire », Céline valorise l’héritage cynique du « dévoilement », associé à la pratique de la παρρησία. L’idée que la littérature serait à même de dire la « vérité » sur le monde social s’apparente chez lui à la mission « thérapeutique » du cynisme ancien consistant à guérir la cité de ses faux discours. Qui plus est, elle s’inscrit ouvertement, tout comme chez Cratès le Cynique, dans une rhétorique de la consolation (consolatio), participant à l’édification de la littérature comme art consolatoire. Alors que les narrateurs céliniens questionnent constamment l’historicité des pratiques consolatoires, la promesse de « consolation » qu’ils articulent sous-tend, à partir de Bagatelles pour un massacre, la politique antisémite de celui qui se demande comment « guérir » ses compatriotes « des gognos juifs […] pour les redresser à la hauteur d’homme » (Les Beaux draps).

Cette thèse se proposera ainsi de reprendre à nouveau frais la question de l’antisémitisme de Céline, en resituant la promotion célinienne de la littérature comme pratique de véridiction au sein de la production littéraire de l’entre-deux-guerres. Quel est le rapport historique entre les opérations de singularisation inscrivant une écriture dans « la littérature » et la promotion d’un discours de « vérité » investi par les acteurs sociaux circonscrivant ses usages ? Quelle place prennent les écrits de Céline au sein de la littérature à sujet juif ? En retraçant l’histoire des usages du cynisme – pratique censée élucider le monde social –, il s’agira d’examiner, dans le sillage d’une épistémologie politique, l’impact du fait littéraire dans l’histoire sociale.

Mots-clés : histoire de l’antisémitisme, cynisme, consolatio, littérature, épistémologie politique, παρρησία, sociologie de la littérature