Margot Lyautey | Chercheuse associée

Environnement, climat, énergie : les sociétés face aux défis écologiques
Centre Marc Bloch, Friedrichstraße 191, D-10117 Berlin
Email: mlyautey  ( at )  gmail.com Tél: +49(0) 30 / 20 93 70700

Institution principale : Helmut-Schmidt-Universität/Universität der Bundeswehr Hamburg | Position : Post-doctorante | Discipline : Histoire |

Biographie

Après une première formation en école d’ingénieurs à l’École polytechnique, Margot Lyautey a obtenu un master en histoire des sciences et des techniques à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS). En 2022, elle a soutenu sa thèse sur l’histoire de l’agriculture française sous l’Occupation, préparée en cotutelle franco-allemande entre l’université de Tübingen et l’EHESS. Elle poursuit à présent ses recherches en histoire environnementale et histoire des sciences en tant que post-doctorante à la Helmut-Schmidt-Universität de Hambourg.

Bourse
  • 2017–2020 : contrat doctoral EHESS
  • 2021–2022 : doctorante à l’Institut Historique Allemand (Paris)
(cotutelle)
Titre de la thèse
Apprendre de l'occupant ? Modernisation de l'agriculture française entre 1940 et 1944 : acteurs, influences, potentialités
Résumé de la thèse

En 1940, les experts agricoles nazis, sous la direction du secrétaire d’État Herbert Backe, ont une vision claire pour l’avenir de l’agriculture française qu’ils considèrent comme improductive, obsolète et largement en retard sur l’agriculture du Reich. L’objectif de l’occupant est de moderniser et d’intensifier la production agricole de l’Hexagone afin de garantir le ravitaillement français, mais surtout européen et allemand, grâce aux connaissances de l’agronomie allemande. Une administration technico-militaire est mise en place à cet effet au sein du commandement allemand à Paris et dans les départements de la zone occupée afin de gouverner, surveiller, optimiser et ponctionner l’agriculture française. Les quatre années d’occupation constituent un moment propice aux transferts culturels et scientifiques, bien que sous contrainte, puisque qu’elles sont le théâtre de circulations accrues d’hommes, de denrées, de pratiques bureaucratiques, de savoirs et de techniques entre la France et l’Allemagne ainsi que d’une superposition de deux administrations. À travers l’analyse de plusieurs dynamiques techniques (lutte contre les nuisibles, implantation de nouvelles cultures, assolements et fourrages améliorés, industrialisation de la filière-lait), la présente thèse interroge le rôle de l’Occupation dans l’histoire de la « modernisation agricole » française.

Plus d’informations ici : https://doi.org/10.4000/trajectoires.9769

Institution de la thèse
École des Hautes Études en Sciences Sociales/Eberhard-Karls-Universität Tübingen
Directeur de thèse
Christophe Bonneuil/Johannes Großmann

Une « révolution blonde » ? Une histoire environnementale du maïs hybride en France et dans les deux Allemagnes (1945–1992)

Quand on pense au maïs, on imagine généralement les petits grains jaunes qui viendront agrémenter une salade ou bien le pop-corn du cinéma. Mais l’alimentation humaine n’est qu’une part infime des utilisations du maïs. De nos jours en Europe, il est cultivé à plus de 80 % pour l’alimentation animale. À ce titre, le maïs est le pilier de notre alimentation moderne occidentale, où les produits animaux occupent une place plus importante que jamais. Parce qu’il s’agit d’une culture à haut rendement à l’hectare, qui pousse sur divers types de sol et qui concentre de forts apports énergétiques, le maïs a été la clé de la transition carnée européenne dans la deuxième moitié du xxe siècle. Une clé qui cristallise pleinement les problématiques environnementales de l’agriculture intensive moderne, que l’on pense aux conflits sur les usages de l’eau, à la pollution liée aux pesticides, aux importations de soja et de colza issus de la déforestation afin de compléter les rations de maïs, ou au bien-être animal et à l’hyperspécialisation des animaux d’élevage.

Le maïs n’est pas une plante native de l’Europe, mais d’Amérique centrale. S’il a été progressivement acclimaté d’Amérique vers l’Europe au début de l’époque moderne, la culture du maïs est demeurée limitée au sud du continent jusqu’au xxe siècle : Portugal, Espagne, sud de la France, Italie, pays des Balkans, Roumanie, Bulgarie et jusqu’en Turquie. Après la Seconde Guerre mondiale s’est opérée dans l’agriculture européenne (et en particulier au nord du continent) une véritable « révolution blonde » , comme on appelle en France cette arrivée massive et rapide du maïs comme fourrage dans les années 1960 et 1970. En seulement quelques décennies, le maïs est venu occuper une place très importante des sols ruraux européens, représentant aujourd’hui plus de 20% des terres labourées en Allemagne et aux Pays-Bas. Une transition impressionnante qui n’est pas étrangère à des influences et projets extra-européens (étatsuniens, dans le cadre du plan Marshall et plus tard de la « révolution verte » ou soviétiques avec la « croisade pour le maïs » de Khrouchtchev). C’est cette évolution majeure de la production agricole européenne, dans ses dimensions environnementales, économiques, sociales et géopolitiques que je propose d’étudier dans ce projet de recherche.

Cadre de l’enquête

La période analysée court du milieu des années 1940 au début des années 1990. Ces années correspondent à un saut quantitatif en termes de surfaces cultivées en maïs en France, en Allemagne fédérale et en République démocratique allemande. Cette période coïncide de fait avec les bornes chronologiques de la Guerre froide.

L’Europe apparaît dans la période considérée comme prise entre deux sphères d’influences. D’une part, les États-Unis, qui sont historiquement leaders de la culture du maïs hybride : le plan Marshall livre des tonnes de maïs hybride pour l’aide alimentaire en Allemagne, des semences étatsuniennes sont envoyées en Europe pour la mise au point de variétés adaptées. D’autre part, un deuxième chemin vers l’Europe passe par l’Union soviétique où Nikita Khrouchtchev lance à partir de 1954 sa « croisade pour le maïs ». L’étude des circulations au sein de l’Europe restera donc largement ouverte aux échanges avec les États-Unis et l’Union soviétique. Si les connections et mobilités au sein des deux blocs sont attendues, le projet a notamment pour objectif de reconsidérer le caractère imperméable du « rideau de fer » en prenant la culture du maïs hybride comme focale.

En outre, l’agriculture est une activité productive aux dimensions éminemment locales. Afin d’appréhender conjointement les dimensions environnementales, techniques, socio-économiques et géopolitiques du sujet, je souhaite combiner et croiser différentes échelles d’analyse, du continental au plus local. L’idée est d’adopter une focale transnationale sur l’Europe du Nord-Ouest (France, République fédérale d’Allemagne et République démocratique allemande) couplée à des études de cas régionales, ancrées dans des cadres socio-environnementaux spécifiques et d’où seront issus les enquêté·es : le Béarn, deux zones d’élevage de l’ouest français en Bretagne et en Normandie, la région autour de Brême, une région agricole de l’ancienne RDA encore à déterminer.

Le projet repose sur l’analyse de sources archivistiques et imprimées (publiques et archives d’entreprises de l’agro-industrie), complétées par des entretiens (notamment d’anciens cultivateurs et cultivatrices de maïs). Cette diversité de sources permet d’accéder aux espaces distincts de production de savoirs sur le maïs. Je pense ici aux savoirs académiques, aux savoirs scientifiques produits par les firmes agroindustrielles, aux savoirs produits par la pratique agricole dans les fermes et aux savoirs administratifs. Une problématique récurrente de l’histoire rurale est la difficulté d’accéder aux transformations au sein des exploitations et les entretiens peuvent, dans une certaine mesure, palier une aporie des archives publiques, où les agriculteurs et agricultrices sont bien souvent absents ou silencieux.

Axes de recherche

Le projet de recherche se situe à l’intersection de l’histoire environnementale, de l’histoire des savoirs et de l’histoire politique et économique de l’Europe contemporaine et est structuré autour de trois axes. Dans le premier « Circulations et recompositions des savoirs dans l’avènement d’un nouveau “paradigme fourrager” », je souhaite proposer une histoire transnationale des techniques d’ensilage (conservation par fermentation) et de l’alimentation rationnelle, attentive au rôle nouveau du maïs dans la période considérée mais aussi à la circulation des savoirs entre différents espaces géographiques et dans la chaîne de valeur agricole (ferme, usine, universités, administration…). Le deuxième axe, « Le maïs comme pilier de l’intensification agricole de l’Europe durant la Guerre froide », propose de relire l’histoire de l’Europe dans la Guerre froide au prisme du maïs, d’une part en analysant les diverses stratégies nationales, entre coopération et compétition, de la sélection variétale du maïs hybride, d’autre part en réexaminant les négociations européennes autour de la PAC ainsi qu’en interrogeant la sémantique politique portée par le maïs des deux côtés du continent. Le dernier axe « Reconfigurations des écosystèmes ruraux et des pratiques agricoles » interroge l’impact environnemental de l’arrivée du maïs dans les fermes autour des pollutions (pesticides, engrais, perturbation potentielle des cycles de l’eau), des transformations des paysages ainsi que des évolutions du travail quotidien dans les fermes et de l’architecture de celles-ci.