Si beaucoup de réflexions ont été menées sur le tropisme de la frontière en tant que « spectacle » (De Genova, 2002 ; 2013), c'est-à-dire à la mise en évidence de l'illégalité et de la déportabilité des exilé.es, ainsi que celui des « Mediterranean Crisis-Scapes » (Boletsi, Houwen, Minnaard, 2020), il apparaît crucial de réfléchir aux angles morts de la représentation des mouvements transnationaux, des carrières et expériences vécues des personnes exilées. Nous faisons l'hypothèse que la frontière au guichet (Infantino, 2020), et plus largement les politiques bureaucratiques frontalières, constituent d'une certaine manière l'archétype de ces répertoires d'images manquantes. À travers l’analyse critique d’un corpus de films documentaires européens réalisés depuis ladite « crise des réfugiés » de 2015, nous nous proposons de réfléchir aux modalités de mise en scène audiovisuelles de la frontière au guichet et des militantismes de guichet (Avanza, Miaz, Péchu, Voutat, 2023). En nous appuyant sur les théories de la Street-Level Bureaucracy (Lipsky, 1980), il s'agit de s’approprier la perspective d’Alexis Spire sur l'asile au guichet, ou « politique des guichets », conçu comme sociologie des actes administratifs pris au niveau de l’interaction entre les fonctionnaires « de terrain » et le public ciblé. Il convient également de penser la positionnalité des cinéastes, tant d’un point de vue décolonial (Larcher, 2023), que du point de vue des interrelations entre mise en scène audiovisuelle et rapport aux terrains d’enquête.