L'interprétation négative de l'histoire : nature, oubli, remémoration chez Th. W. Adorno

Cette thèse vise à éclairer la crise du concept de conscience historique en articulant histoire des idées et théorie critique de l'histoire. L'examen du modèle de critique déployé par Adorno pour penser l'histoire a un double enjeu. Philosophiquement, son œuvre trouve une actualité dans l'élucidation du rapport des individus à l'histoire. Doxographiquement, l'interprétation des écrits de jeunesse révise le diagnostic d'un échec de la pensée adornienne de l'histoire, bâti par Habermas sur la lecture séparée de la Dialectique de la raison. L'objectif est double. Négativement, revenir sur la présomption d'un pessimisme principiel d'Adorno à l'égard du cours qu'emprunte l'histoire en montrant que sa critique n'apparaît sans issue pratique que du fait de son attention à la réalité psychosociale. Positivement, l'analyse de la critique adornienne de la foi dans le progrès, loin de fermer les perspectives historiques, rouvre la confiance en la faisabilité de l'histoire. Le philosophème d'histoire-nature (1932) autorise la révision de la réception dominante de la Dialectique de la raison (1947), qui y voit une faillite de la critique de l'histoire, en corrigeant les vestiges idéalistes du marxisme par une considération heuristique de la naturalisation de l'histoire. Le procès en pessimisme réinstruit, nous montrons comment Adorno construit une théorie de l'histoire cohérente, dont les hommes ne seraient pas les objets, mais les sujets. Par les concepts critiques de nature, d'oubli et de remémoration, Adorno restaure théoriquement la faisabilité de l'histoire, qui dépend d'une remémoration de la souffrance sédimentée dans l'histoire et tire son modèle de l'interprétation.

L’hypothèse se scande ainsi : 1) Le philosophème d’histoire-nature [Naturgeschichte] introduit en 1932 dans « L’idée d’histoire-nature »  autorise la révision de la réception dominante de Dialektik der Aufklärung (1947), qui y voit une faillite de la critique de l’histoire. 2) Par ce philosophème construit à partir de Benjamin et, dans une moindre mesure, de Lukács, Dialektik der Aufklärung corrige les vestiges idéalistes du marxisme en considérant heuristiquement la naturalisation de l’histoire. 3) L’accusation de pessimisme reçoit une réponse dans l’attention qu’Adorno accorde au moment de vérité contenu dans l’assertion fausse de la fin de l’histoire. Ce moment renvoie à l’autonomisation de la société par rapport aux sujets qui, dépossédés d’une liberté réellement extériorisée, en deviennent les objets. Le procès en pessimisme réinstruit par l’analyse de Dialektik der Aufklärung à partir des premiers écrits, le propos montre comment Adorno construit une théorie de l’histoire cohérente, dont les hommes ne seraient pas les objets, mais les sujets. 4) Les concepts de nature, oubli et remémoration sont les opérateurs critiques par lesquels Adorno restaure la faisabilité de l’histoire. 5) Elle dépend d’une remémoration de la souffrance sédimentée dans l’histoire, tire son modèle de l’interprétation, cherche dans le texte des vaincus de l’histoire les traces d’un autre futur possible.