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Table-ronde:France-Allemagne, un couple modèle ? (60ème anniversaire du traité de l'Elysée)

12. Juni 

Le 22 janvier 2023, les autorités françaises et allemandes ont célébré l'anniversaire du traité de l'Élysée. Ce fut l'occasion de rappeler un fait majeur. Soixante ans plus tôt, le chancelier ouest-allemand Konrad Adenauer et le président français Charles de Gaulle ont signé un traité "d'amitié" qui a symboliquement mis un terme à une rivalité de plusieurs décennies matérialisée, notamment, par la guerre franco-prussienne de 1870-1871, la Première et la Deuxième guerre mondiale. En juillet, l'Office franco-allemand pour la jeunesse (OFAJ) célébrera son soixantième anniversaire. L'OFAJ est la première institution issue du traité d'amitié. Elle organise et subventionne des rencontres entre les jeunes Français et Allemands. Depuis sa création, plus de neuf millions de jeunes ont participé à ces manifestations.
Le Centre Marc Bloch de Berlin a choisi de participer à cette séquence de commémorations le 12 juin 2023 pour faire écho à un autre événement aujourd'hui largement oublié: la ratification, par le parlement allemand, du traité de l'Élysée. Les juristes appellent "ratification" l'approbation, dans les formes requises par la constitution, d'un acte juridique. Un traité n'entre pas en vigueur quand il est signé mais quand il est ratifié. Alors que la ratification fut une formalité du côté français, une majorité de parlementaires ouest-allemands ont refusé de ratifier le texte en l'état. Le Bundestag – la chambre basse du parlement ouest-allemand – n'a accepté de le faire qu'après l'ajout le 15 juin 1963 d'un "préambule" qui a profondément modifié la signification et la portée du traité.
Le traité signé le 22 janvier 1963 comportait deux volets: un volet "réconciliation" dont les deux principaux éléments étaient la proclamation symbolique de celle-ci et la promesse de multiplier les rencontres de jeunes; et un volet stratégique prévoyant, même si cela ne fut pas dit officiellement, une coopération en matière de nucléaire militaire. Si le premier volet était relativement consensuel, le second était beaucoup plus controversé. Dans un mémorandum daté de février 1963, les autorités soviétiques avaient qualifié l'alliance stratégique franco-allemande de "menace thermonucléaire sur l'Europe". Le préambule adopté par le Bundestag rappelait la primauté de l'alliance militaire entre la RFA et les Etats-Unis. Ce faisant, il a sapé le pilier stratégique du traité de l'Élysée tout en donnant une résonance plus profonde à son volet "réconciliation".
Les participantes et participants à la table-ronde partiront de cette histoire pour explorer des questions plus générales sur les relations franco-allemandes. Iels s'interrogeront notamment sur l'exemplarité du processus de rapprochement franco-allemand par rapport à d'autres situations de post-conflit. Des spécialistes ont montré que le cas franco-allemand présente une originalité: à partir du lancement de la construction européenne et a fortiori après la signature du traité de l'Élysée, le processus de rapprochement fut non seulement porté et encouragé par les autorités officielles de la France et de la RFA mais, aussi, par des acteurs privés ou "parapublics" (institutions de droit privé financées par les pouvoirs publics) ainsi que par un tiers: les Etats-Unis. Nous nous demanderons si cet alignement improbable de planètes empêche d'envisager le cas franco-allemand comme un modèle dans une perspective de résolution des conflits ou de construction de partenariats privilégiés.
Le deuxième grand thème abordé lors de cette table-ronde concerne la place des relations franco-allemandes dans la construction européenne. Le "couple" / "Tandem" franco-allemand a joué un rôle moteur à plusieurs reprises dans le processus européen, notamment lors de la marche vers la monnaie unique européenne entre les années 1970 et 1990. Cette relation privilégiée a aussi connu des moments de moindre intensité. Elle a aussi fait l'objet de critiques pour son caractère trop bilatéral, trop politique (trop de droite ou trop de gauche selon les perspectives) ou au contraire trop technocratique. Le Brexit, le recul de l'état de droit dans plusieurs pays de l'Union et l'accroissement des inégalités entre le Nord et le Sud sur fond d'inflation constituent autant de défis pour la construction européenne et, au sein de celle-ci, pour le couple/Tandem franco-allemand.
L'adoption par le Bundestag du préambule évoqué plus haut avait déçu le général de Gaulle. Il aurait confié à Adenauer en juillet 1963: "Les traités, voyez-vous, sont comme les jeunes filles et les roses : ça dure ce que ça dure!". Pendant les cinq décennies qui ont suivi, la France et la RFA ont effectivement pris des chemins différents au sein de l'Alliance atlantique, la première en sortant de son pilier militaire et la seconde en optant, au contraire, pour une intégration maximale à celui-ci. Au-delà de cette divergence institutionnelle, les identités et les pratiques routinières de politique étrangère des deux pays ont longtemps paru très différentes. Alors que la France n'a eu de cesse, depuis les décolonisations, d'intervenir militairement dans son "pré-carré africain", la RFA a fait signe d'une "culture de la retenue" marquée, jusque dans les années 1990, par un refus de projeter ses forces armées au-delà de ses frontières. L'intervention de la Bundeswehr au Kosovo en 1999 puis en Afghanistan au cours des années 2000, le retour de la France dans le pilier militaire de l'OTAN au début des années 2010 et l'augmentation spectaculaire des dépenses militaires en Allemagne et en France depuis le début de la guerre en Ukraine suggèrent que les conditions pour une relance du volet stratégique du traité de l'Élysée n'ont jamais été aussi favorables. Nous nous demanderons si ce développement est probable, souhaitable et quelles formes il pourrait prendre.

Participants:

Mathias DELORI (modérateur) est socio-historien, chercheur CNRS au Centre Marc Bloch de Berlin. Ses travaux sur les relations franco-allemandes ont porté sur l'Office franco-allemand pour la jeunesse (thèse de doctorat en 2008) et la symbolique de la réconciliation.

Henriette HEIMBACH (participante) est politiste et doctorante à l'université du Luxembourg. Sa thèse porte sur l'Assemblée parlementaire franco-allemande. Elle apportera, d'une manière plus générale, un éclairage sur les réseaux transnationaux franco-allemands.

Valérie ROSOUX (participante) est politiste, professeure-directrice de recherche au FNRS (Fonds National de la Recherche Scientifique) à l'Université Catholique de Louvain-la-Neuve. Spécialiste de la mémoire et de la gestion des situations post-conflictuelles, elle a travaillé dans une perspective comparée sur les cas franco-allemand, franco-algérien, sur le Rwanda et les Balkans.

Eric SANGAR (participant)  est socio-historien et maître de conférences à Sciences Po Lille. Ses travaux sur les relations franco-allemandes ont surtout porté sur les questions militaires et sur les diffusions, d'un pays à un autres, d'idées, d'institutions ou de pratiques routinisées.

Elsa TULMETS (participante), politiste, est chercheuse associée au Centre Marc Bloch et professeure à l'Université Viadrina à Francfort sur l'Oder. Elle s'est intéressée aux relations franco-allemandes à travers la construction européenne, dont elle est spécialiste.


Kontakt:

Mathias Delori
mathias.delori  ( at )  cmb.hu-berlin.de